Interim management, le cadre providentiel

L’intérêt de l’interim management expliqué dans le Nouvel Economiste du 12 avril.

Le Nouvel Economiste s’est intéressé au Management de Transition. La journaliste a réalisé un travail exhaustif et didactique sur l’intérêt pour les entreprises de recourir à ce type de service. On comprend tout, les exemples sont parlants et les données concrètes.
A lire pour tout savoir…

De plus en plus loin de l’étiquette de fossoyeur, la profession se structure en diversifiant ses champs d’action. Avec succès.

Qui sont donc les managers de transition ? Alors que la profession investit peu à peu le marché français, la fonction d’interim manager se précise, se formalise et se structure. Recrutés pour une période limitée dans le but d’aider les sociétés à gérer des problématiques particulières et ponctuelles, ils occupent désormais un champ de fonctions et de domaines de plus en plus vaste. Le baromètre de la profession affiche un beau fixe insolent et des chiffres de croissance de près de 15 % pour 2012. Le métier exige cependant des qualités spécifiques pour mener à bien les missions, au premier rang desquelles la flexibilité et une solide expérience professionnelle.

Deux chiffres, 14,4 %. Voici la progression affichée par le secteur du management de transition pour l’année 2012, avec un chiffre d’affaires compris entre 300 et 350 millions d’euros, selon la Fédération nationale du management de transition (FNMT). Pour le seul quatrième trimestre de l’année passée, la profession a connu une croissance de 23,5 %. Si les Français restent encore loin derrière les Allemands, les Néerlandais et les Anglais, aussi bien pour le nombre de cabinets que pour le poids économique du secteur, la reconnaissance du métier s’améliore continuellement. “Notre activité commence à émerger, commente Pierre Van den Broeck, président de la FNMT. Nous demandons régulièrement aux DRH et aux directions générales si elles connaissent le management de transition, et nous voyons les chiffres progresser d’année en année.” Développé aux États-Unis et aux Pays-Bas dans les années soixante-dix, l’“interim management”, comme le nomment les Anglo-saxons, ne débarque qu’à la fin des années quatre-vingt-dix dans l’Hexagone. Il faut attendre le début du siècle pour que l’activité décolle réellement et rencontre de l’intérêt auprès des comités de direction. Alors que l’Allemagne compte quelque 150 cabinets, que les structures au Royaume-Uni et aux Pays-Bas se comptent par centaines, la France fait figure de petite poucet avec sa cinquantaine de cabinets.

Ce qui n’empêche pas la profession de se structurer, de formaliser ses process et d’établir des standards : “La fédération a élaboré un référentiel qui décrit l’ensemble des pratiques qui nous paraissent souhaitables, en termes de déontologie, de confidentialité, de conceptualisation, d’organisation des cabinets, poursuit Pierre Van Den Broeck. Nous essayons de renforcer les bases de notre métier.”

Ni conseil, ni recrutement

Le management de transition reste toutefois une activité relativement peu médiatisée, dont de nombreux professionnels ignorent jusqu’à l’existence, et encore plus le fonctionnement. En termes simples, elle se définit par la prise en charge d’une fonction de management, de manière temporaire, par un intervenant qualifié qui se voit confier une mission spécifique pour la durée de son mandat au sein de l’entreprise. Ni du conseil, ni une phase dans la procédure de recrutement, ni de l’intérim au sens traditionnel du mot, et pourtant tout cela à la fois.

Le conseiller apporte une expertise et propose des études de marché, des orientations stratégiques ou un plan de réorganisation à long terme. Il se spécialise dans la recommandation. Cependant, il reste extérieur à l’entreprise dans laquelle il intervient, contrairement au manager de transition qui s’implique dans la réalisation concrète de la mission qu’il se voit confier. La différence, d’un point de vue juridique, ne saurait être plus importante : le conseiller est rémunéré pour une préconisation ou un audit, tandis que l’interim manager prend les commandes du poste auquel il se trouve. Dans la chaise du directeur général, ses décisions font autorité, et au poste de DRH, il assure la direction effective des ressources humaines.

Cette composante managériale distingue également la profession de l’intérim au sens traditionnel du terme, tel qu’il est compris en France. “On parle généralement d’intérim pour des postes d’exécution sans responsabilité au niveau du comité de direction, confirme Pierre Van Den Broeck. Le manager de transition, lui, peut être amené à exercer un mandat social, voire à être enregistré au greffe du tribunal si nécessaire.” Très loin, donc, de la perception habituelle du travail en intérim, associé aux petits boulots ponctuels.

Enfin, l’interim management ne se comprend pas comme une simple étape du processus de recrutement d’une entreprise, ni comme une période d’essai avant une éventuelle embauche définitive. Par définition, le manager de transition n’exerce que pour une durée limitée, en moyenne de six à sept mois, parfois jusqu’à douze ou dix-huit mois. Il n’a pas besoin d’être un spécialiste du secteur dans lequel l’entreprise travaille, son objectif consiste à construire ou reconstruire une fonction. Pourtant, le recours à un interim manager peut constituer une étape préalable au recrutement d’un autre cadre qui, lui, restera sur le long terme. Ces derniers apprécient généralement d’arriver dans un service structuré, voire assaini par un manager de transition.

Idées reçues contre réalité des missions

Les fonctions dites traditionnelles, à savoir la direction générale, la direction des ressources humaines et la direction financière, totalisent encore près de 60 % des postes occupés en entreprise par les managers de transition, selon les chiffres de la FNMT. Pour autant, la diversification des domaines d’intervention se confirme d’année en année, voire de trimestre en trimestre : la direction industrielle est passée de 11 % en 2011 à 16 % en 2012, le marketing et les fonctions commerciales, qui ne représentaient que 4 % en 2011, prennent désormais 9 % des missions, les systèmes d’information et la supply chain comptabilisent chacun 6 % des effectifs.

Autre évolution, le panel des secteurs d’activité qui mobilisent des managers de transition ne cesse de s’élargir. Si l’industrie représente encore le principal employeur, dans 56 % des cas, les services regroupent aujourd’hui 36 % des missions et la distribution 9 %, des chiffres en constante progression. “Nous travaillons avec divers types de société, explique Grégoire Cabri-Wiltzer, président de Nim Europe, un cabinet d’interim management. Ce sont d’importantes sociétés multinationales, des sociétés étrangères qui possèdent des unités de production en France, de grosses PME qui ont des besoins ponctuels, des sociétés para-institutionnelles telles que les assurances, des fonds d’investissement…”

En règle générale, l’interim management intervient dans quatre types de situations différentes. En premier lieu, la situation de crise, qui représente toutefois moins d’un cinquième des missions. La crise économique qui n’en finit pas semble constituer un terreau très favorable à la multiplication d’intérimaires qui assumeraient un rôle de pompiers et seraient sollicités pour secourir une entreprise et retourner une conjoncture défavorable. Paradoxalement, la part des managers de transition mobilisés pour gérer une situation critique ne totalise que 16 % des missions, selon la FNMT : “Notre profession souffre parfois d’une image caricaturale de fossoyeurs qui viennent redresser une conjoncture désespérée”, regrette Pierre Van Den Broeck.

La conduite de projet, en revanche, représente 27 % des missions d’intérim. Une entreprise qui souhaite installer un nouvel ERP ou se lancer sur un nouveau marché se trouve confrontée à une double problématique. D’une part, si elle ne possède pas les compétences en interne, elle recherche un collaborateur pour gérer le nouveau service sur le long terme, ce qui nécessite de définir finement le profil du candidat souhaité, de déterminer par exemple si le poste tiendra davantage du marketing ou du commercial. D’autre part, elle a besoin d’un collaborateur disponible immédiatement, afin d’assurer le lancement du projet. Le manager de transition permet alors de concilier ces deux impératifs. D’autant plus que mettre en place un projet ne nécessite pas toujours les mêmes compétences et le même type de profil que l’administration du service sur le long terme, une fois qu’il est mis en place.

“Souvent, les intervenants qui initient un projet ne fonctionnent pas de la même manière que les professionnels qui gèrent l’organisation, soutient Grégoire Cabri-Wiltzer. Parce qu’ils arrivent de l’extérieur, ils sont capables d’offrir un regard neuf et de se concentrer sur la mission qu’ils doivent mener.” Le manager de transition apporte donc à l’entreprise des compétences pointues qui le qualifie pour mener à bien les changements que la société réclame, tout en ne déstabilisant pas sa mission par des considérations politiques et de gestion de carrière : par définition, il quittera l’entreprise une fois sa mission achevée.

Point commun, l’urgence

Troisième cas de figure : le management de relais. Certains postes clefs d’une organisation ne peuvent se retrouver vacants, pour des raisons évidentes de fonctionnement. Aucune société, toutefois, n’est à l’abri d’aléas de santé, d’accidents ou simplement d’“heureux événements”. En juillet 2012, Marissa Mayer, fraîchement nommée à la direction du géant de l’informatique Yahoo !, annonce dans le même temps sa grossesse. Une situation typique dans laquelle l’interim management prend tout son sens : si les femmes ne représentent qu’un cinquième des postes de direction en France, selon l’Insee, ce pourcentage monte à 42 % chez les moins de 30 ans. Certains métiers, notamment dans les comités de direction, exigent une continuité dans le suivi des dossiers. Si Marissa Mayer, comme de nombreuses femmes dans une situation similaire, a choisi de limiter son congé maternité et de continuer à travailler depuis chez elle, le management de remplacement reste un outil précieux pour faire face à l’indisponibilité d’un cadre, une situation qui représente un quart des missions d’interim aujourd’hui.

Enfin, près d’un tiers des managers de transition sont recrutés pour faire face à un changement important, tel qu’une fusion, une restructuration, une acquisition, la création d’un service ou d’une start-up. “Récemment, nous avons par exemple placé quelqu’un comme directeur général dans un pays de l’Est, où un grand groupe a racheté une filiale, illustre Grégoire Cabri-Wiltzer. Ils voulaient quelqu’un d’immédiatement disponible et de parfaitement bilingue, et nous avons trouvé ce candidat qui a repris la direction de la société pour six mois.” Les exemples ne manquent pas : placer un directeur de communication au sein d’un groupe qui a prévu une grosse acquisition et qui souhaite anticiper les retombées médiatiques, envoyer un directeur des ressources humaines dans une entreprise pour la réorganiser, confier la direction des achats d’un établissement hospitalier à un cadre qui gèrera la mise en place de nouvelles spécialités dans la structure… Le manager intérimaire assure le rôle de l’homme providentiel qui fournit une expertise ponctuelle et permet à la société d’aborder plus sereinement la phase de bouleversement dans laquelle elle s’engage.

Le point commun entre toutes les missions : le caractère d’urgence. Il ne s’agit pas nécessairement d’une crise, tant s’en faut. En revanche, dans presque tous les cas, les employeurs recherchent un intervenant disponible à très court terme et opérationnel immédiatement. Ainsi, dans le cas d’une fusion, d’une acquisition ou d’une cession, s’ouvrent de nombreux chantiers, de l’homogénéisation des RH et des systèmes informatiques à la rémunération des dirigeants. Le recrutement d’un manager de transition répond à la nécessité de mettre en place un leadership efficace et rapide, afin de gérer ces problématiques exceptionnelles.

Profil type : senior, flexible et communiquant

Tout cadre de direction ne peut donc pas exercer les fonctions de manager intérimaire. Il se doit de posséder un certain nombre de qualités pour mener à bien sa mission. “Le manager de transition a entre 35 et 65 ans, énumère Pierre Van den Broeck. C’est un senior qui justifie d’une réelle expertise et d’une forte expérience.” Bien que la moyenne d’âge de la profession se rapproche des 50 à 55 ans, l’activité n’est pas réservée aux quinquagénaires. Dans une start-up technologique, on peut parler de senior dès 35 à 40 ans, tandis que dans l’industrie, la moyenne d’âge se rapproche plutôt de la soixantaine. L’essentiel ne se trouve toutefois pas dans l’âge, mais bien dans la flexibilité, dans la capacité à s’adapter rapidement et à produire des résultats dès les cent premiers jours.

Le manager intérimaire ne dispose pas de six mois pour prendre la mesure de son poste et pour faire ses preuves, il a l’obligation d’être presque immédiatement opérationnel et, surtout, efficace. “Il sait également résister au stress, car il arrive souvent dans des situations un peu tendues, poursuit Pierre Van den Broeck. Enfin, dernier élément important : la capacité à communiquer.” Puisqu’il n’a pas vocation à s’éterniser au sein de l’entreprise, le manager de transition sera amené à interagir dans l’organisation dans laquelle il intervient, que ce soit au début de sa mission, afin de réellement comprendre le contexte de l’entreprise, ou au cours et à la fin de son mandat, afin que son travail serve à la poursuite de l’activité, même après son départ.

“Deux types de profils de manager de transition se dégagent, avance Grégoire Cabri-Wiltzer. Certains intervenants se trouvent dans une période de réflexion sur leur futur et de repositionnement, et ils prennent une mission pour élargir leur palette de compétences. D’autres deviennent de véritables managers de transition professionnels, qui apprécient ce mode de fonctionnement et l’exercent à temps plein.” L’un des attraits pour la profession provient de la certaine liberté dont dispose l’intérimaire, qui n’a pas de vision à long terme dans l’entreprise, ce qui lui permet une franchise et une liberté de ton que ses collaborateurs ne possèdent pas.

Les cabinets, eux, s’ajoutent à l’équation en apportant un certain équilibre entre l’intervenant et l’entreprise cliente. Si les managers de transition justifient d’une expérience et d’une compétence technique, il leur manque parfois la compréhension du contexte dans lequel ils arrivent pour réaliser la mission. La principale difficulté qui se pose aux managers intérimaires est liée à la perception de leur mandat : si l’objectif manque de clarté, autant pour l’intervenant que pour la structure qui l’accueille, l’une des deux parties n’y trouvera pas son compte. Le cabinet intervient alors pour s’assurer de la transparence sur les tenants et les aboutissants de chaque contrat.

Le marché français se familiarise doucement mais sûrement avec l’idée du manager de transition et commence à appréhender la palette de problématiques à laquelle cette activité permet de répondre. Les performances de la profession outre-Manche, qui avoisine les trois milliards d’euros de chiffre d’affaires, laisse supposer que l’interim management dispose encore d’une large marge de progression dans l’Hexagone.

Formalisation du métier

Un référentiel et plusieurs statuts juridiques

“Nous essayons de structurer notre activité en mettant en place un référentiel, explique Pierre Van den Broeck, le président de la Fédération nationale du management de transition (FNMT). Nous demandons à tous nos membres de suivre ce référentiel et un contrôle est réalisé par le bureau Veritas, un tiers indépendant qui audite les cabinets chaque année et qui s’assure que les pratiques se conforment à ce référentiel.” La fédération s’est attaquée à un travail de labellisation et de structuration des pratiques, qui s’applique pour l’instant à sa quinzaine d’adhérents, sur les cinquante structures environ que compte le paysage français.

Le premier volet rassemble la déontologie, la confidentialité et l’éthique. “L’ensemble des associés, dirigeants et collaborateurs des cabinets de management de transition fait preuve d’honnêteté et de droiture dans la conduite des missions. Il s’abstient – même en dehors de l’exercice de la profession – de tous agissements contraires à la probité et à l’honneur”, indique ainsi la FNMT sur son site Internet. La fédération se préoccupe également d’aspects plus terre à terre relatifs à l’organisation des processus, à la formalisation contractuelle entre les parties et au respect de la législation française.

Le management de transition peut en effet s’exercer sous diverses formes et statuts juridiques. Certains cabinets adoptent ainsi le statut d’entreprise de travail temporaire, tout simplement parce qu’il est prévu par le législateur et qu’il permet d’envoyer un intervenant dans une entreprise en toute sécurité juridique, tout en assurant un certain nombre de prestations sociales pour les managers, telles que les cotisations, le chômage, les assurances… Bien qu’il ait été prévu, à l’origine, pour des emplois de basse qualification, le format du travail temporaire s’adapte à l’interim management.

D’autres cabinets choisissent de sous-traiter les prestations à une entreprise unipersonnelle – ce qui implique que l’intervenant se soit constitué en entreprise unipersonnelle –, ce qui donne lieu à une contractualisation entre le manager et le cabinet d’une part, et entre le cabinet et l’entreprise cliente d’autre part. “Dans un certain nombre de cas, des cabinets recrutent les intervenants soit pour la durée de la mission, soit à durée indéterminée, s’il s’avère qu’ils ont besoin de façon récurrente de certains profils, complète Pierre Van den Broeck. Et enfin, il existe aussi le portage salarial.” Ce dernier statut présente toutefois quelques particularités, notamment le fait qu’il interdit l’existence d’un lien de subordination entre l’intervenant et l’entreprise utilisatrice. Le portage salarial convient donc dans les situations où le manager propose une expertise ou effectue un audit, mais n’a pas de compte à rendre d’un point de vue hiérarchique ni d’ordre à donner au sein de l’entreprise.

“La question du statut juridique revêt une véritable importance, insiste Pierre Van den Broeck. La loi française est assez complexe et assez restrictive, il faut donc intervenir dans un cadre juridique adapté.” Les candidats au management de transition gagneraient donc à se rapprocher d’instances ou de cabinets qui possèdent une certaine crédibilité, leur assurant qu’ils interviennent dans les clous posés par la loi.

Par Lisa Melia